L’orthophonie dans les troubles spécifiques du développement du langage oral chez l'enfant de 3 à 6 ans
L'objectif de cette recommandation professionnelle est de répondre aux questions suivantes :
- Sur quels critères et quand prendre en compte une plainte concernant le langage ?
- Comment identifier un trouble spécifique du développement du langage ?
- Quel bilan orthophonique prescrire et quand ?
- Quels enfants faire bénéficier d'une rééducation orthophonique, quand et à quel rythme ?
- Quels objectifs fixer et quelles méthodes de rééducation employer ?
- Quelle évaluation et quel suivi ?
Texte des recommandations
Ces recommandations concernent les indications de l’orthophonie dans les troubles primaires et spécifiques du développement du langage oral chez l’enfant de 3 à 6 ans, spécifiques dans le sens qu’ils ne s’accompagnent pas de déficience mentale, qu’ils intéressent le langage et peu ou pas les autres fonctions cognitives. Les troubles du langage secondaires à des pathologies neurologiques, psychiatriques et/ou sensorielles bien définies, à des malformations bucco-phonatoires, le bégaiement et les troubles acquis du langage ne font pas l’objet des présentes recommandations.
Ces recommandations sont destinées à tous les professionnels de santé concernés par les troubles du langage oral de l’enfant de 3 à 6 ans.
Les recommandations proposées sont classées en grade A, B ou C selon les modalités suivantes :
- une recommandation de grade A est fondée sur une preuve scientifique établie par des études de fort niveau de preuve, par exemple essais comparatifs randomisés de forte puissance et sans biais majeur, méta-analyse d’essais contrôlés randomisés, analyse de décision basée sur des études bien menées ;
- une recommandation de grade B est fondée sur une présomption scientifique fournie par des études de niveau intermédiaire de preuve : par exemple essais comparatifs randomisés de faible puissance, études comparatives non randomisées bien menées, études de cohortes ;
- une recommandation de grade C est fondée sur des études de moindre niveau de preuve, par exemple études cas-témoins, séries de cas.
En l’absence de précision, les recommandations proposées correspondent à un accord professionnel.
Toute préoccupation exprimée concernant le langage de l’enfant doit être prise en compte,
qu’elle provienne des parents, des enseignants ou de professionnels de santé. Cette plainte doit aboutir à la réalisation d’une évaluation individuelle et d’un examen médical qui ont pour but de vérifier l’existence du trouble du langage et sa spécificité. La décision de réaliser un bilan orthophonique dépendra des résultats de ces examens.
On peut distinguer plusieurs étape s dans l’identification d’un trouble spécifique du langage oral chez l’enfant entre 3 et 6 ans :
On peut considérer que pratiquement toutes les méthodes proposées en France sont très récentes et se trouvent au début de leur développement (tableau 1). Le contenu de ces instruments français est dans l’ensemble en accord avec les travaux internationaux montrant quels sont les items ou épreuves les plus pertinents pour délimiter le groupe d’enfants d’âge préscolaire présentant des troubles spécifiques du langage.
Tableau 1 : Outils de repérage et de dépistage des troubles du langage oral
Outils | Âges d’utilisation | Validation |
Questionnaires - DPL 3 - Chevrie-Muller |
3 ans à 3 ans et 6 mois 3 ans et 6 ans à 3 ans et 9 mois |
en cours + |
Batteries de tests - ERTL 4 - PER 2000 - ERTL A6 - BREV |
3 ans et 9 mois à 4 ans et 6 mois 3 ans et 6 mois à 5 ans et 6 mois 5 ans et 9 mois à 6 ans et 4 mois 4 ans à 9 ans |
en cours en cours en cours + |
Le repérage et le dépistage des troubles du langage oral chez l’enfant de 3 à 6 ans doivent être systématiques même en l’absence de plainte.
- Entre 3 et 4 ans, ils font appel au minimum à une seule question posée aux enseignants : (« Considérez-vous que cet enfant a un problème de langage ? ») et aux parents («Que pensez-vous du langage de votre enfant ? »).
Avec la question posée aux enseignants, 20 à 25 % des enfants de cette tranche d’âge en maternelle sont identifiés comme étant susceptibles d’avoir un trouble du langage (grade C).
Des questionnaires d’aide au repérage peuvent être utilisés : le DPL3, en cours de validation utilisable entre 3 ans et 3 ans 6 mois (10 questions) ou le « Questionnaire Langage et Comportement 3 ans 1/2 », de Chevrie-Muller et Coll., validé (grade C), utilisable de 3 ans 6 mois à 3 ans 9 mois (29 questions).
À ce niveau sont repérés des enfants avec troubles de langage de toutes origines, et pas uniquement ceux ayant des troubles spécifiques du langage. Il n’existe pas actuellement de questionnaire valide après 4 ans. - Après 4 ans des batteries de tests sont proposées :
- l’ERTL4, utilisable entre 3 ans et 9 mois et 4 ans et 6 mois, (5 à 10 minutes de passation).
- le PER2000 et la BREV utilisés lors des étapes ultérieures sont également utilisables à ce stade : entre 3 ans et 6 mois et 5 ans et 6 mois pour le PER 2000 (étalonné et en cours de validation) et entre 4 ans et 9 ans pour la BREV (étalonnée et validée partiellement).
- d’autres outils s’adressant à la tranche 5-6 ans, ont par ailleurs comme objectifs de rechercher des signes prédictifs de troubles de l’apprentissage (bilan de santé des 5-6 ans, ERTLA6 par exemple).
On peut remarquer un certain sous-développement en France des méthodes de dépistage basées sur l’avis des parents et des enseignants, qui pourtant seraient efficaces. L’éducation nationale devrait être plus impliquée dans le dépistage. Des conseils dans le carnet de santé pourraient être utiles.
L’identification du caractère spécifique du trouble du développement du langage oral :
Le diagnostic de «troubles spécifiques du langage oral chez l’enfant entre 3 et 6 ans » est un diagnostic difficile. En cas de troubles graves, les troubles sont beaucoup plus souvent associés à d’autres troubles qu’isolés, ce qui rend indispensable le bilan médical pluridisciplinaire. En cas de troubles légers et isolés, il faut faire la part entre trouble et retard.
Le bilan médical est essentiel pour affirmer le caractère primaire du retard ou du trouble du langage (non secondaire à une autre pathologie) et permettre d’orienter la prise en charge (grade B). Il s’agit de rechercher :
- un déficit sensoriel notamment auditif : tout enfant ayant un trouble du langage doit avoir un bilan auditif (examen des tympans, voix chuchotée hors de la vue de l’enfant) et au moindre doute un examen audiométrique complet (grade C).
- une pathologie neurologique : tout enfant ayant un trouble du langage doit bénéficier d’un examen neurologique clinique : régression du langage, recherche d’antécédents familiaux et personnels, d’un trouble neurologique moteur, d’une dysmorphie, d’un syndrome neuro-cutané, d’anomalies du périmètre crânien (grade C). Dans ce cas un avis neuro-pédiatrique doit être demandé.
- un trouble cognitif non verbal : tout enfant ayant un trouble du langage doit avoir une évaluation des compétences non verbales (grade C). Des outils évaluant à la fois les troubles du langage et les fonctions non verbales ont été développés : PER 2000, BREV. Une évaluation psychométrique peut être nécessaire, en cas de doute sur les fonctions non-verbales.
- un trouble envahissant du développement : tout enfant ayant un trouble du langage doit avoir une évaluation de ses capacités de communication et de sa socialisation (grade C). Au moindre doute, il faut s’aider de questionnaires.
- des carences importantes dans l’environnement de l’enfant : enfant non scolarisé, insuffisance de stimulation langagière, affective, etc.
Tout trouble sévère de la compréhension nécessite un avis spécialisé et un électroencéphalogramme de sommeil (grade C).
La prescription du bilan orthophonique :
La prescription d’un bilan orthophonique chez les enfants entre 3 et 6 ans doit être envisagée différemment chez les enfants les plus jeunes et les enfants les plus âgés de cette tranche d’âge. Plusieurs travaux montrent en effet qu’une proportion élevée d’enfants présentant des retards du développement de leur langage entre 3 et 5 ans, ne présentent plus de retard quelques mois ou quelques années plus tard (grade B), même en l’absence de prise en charge particulière mais sans qu’il soit possible de prédire cliniquement l’évolution du langage. L’indication du bilan orthophonique dépend de la sévérité, de la spécificité et de la persistance du retard de langage. Une formation des prescripteurs est nécessaire.
- Chez l’enfant de 3 à 4 ans il y a indication de bilan orthophonique :
- en cas d’absence de langage intelligible pour les personnes non familières ;
- en cas d’absence de structure grammaticale (3 mots dont un verbe associés à 3 ans) ;
- en cas de troubles de la compréhension.
- Chez l’enfant de 4 à 5 ans :
Même en cas de retard moins sévère que précédemment, le bilan orthophonique peut être indiqué pour faire une évaluation quantifiée des troubles de l’expression et des troubles de la compréhension.
En cas de retard dans l’expression et en particulier l’aspect phonologique du langage uniquement, en l’absence évidente de retard ou de trouble dans la compréhension, une simple surveillance paraît justifiée avec un réexamen de l’enfant 6 mois plus tard (grade C). - À 5 ans, le bilan orthophonique est justifié non seulement dans les cas cités précédemment, mais aussi devant tout trouble du langage quel qu’il soit, authentifié par une batterie de dépistage. La persistance d’un trouble du langage, en particulier de troubles phonologiques peut gêner considérablement l’apprentissage de la lecture au début du primaire (grade C).
Le bilan orthophonique :
Il précise le type de trouble du langage et sa gravité, en évaluant à la fois l’aspect expressif (phonologie, vocabulaire, morphosyntaxe et récit), réceptif (perception et compréhension) et pragmatique (emploi du langage dans les interactions sociales et familiales). Des épreuves étalonnées dans la population générale permettent la réalisation de ces bilans orthophoniques.
Par ailleurs, les épreuves destinées à repérer les enfants entre 5 et 6 ans à risque de difficultés d’apprentissage de la lecture dans les premières années du primaire doivent inclure la discrimination phonologique, les capacités métaphonologiques, la dénomination rapide, l’organisation syntaxique, l’attention et la mémoire verbale (grade C).
Le bilan orthophonique permet de préciser les déficits et leurs domaines, les potentialités conservées, la répercussion du trouble du langage et les potentialités d’évolution de l’enfant. Il précise les indications et modalités du traitement orthophonique.
Le bilan orthophonique fait l’objet d’un compte rendu écrit, détaillé, argumenté et clairement explicité mentionnant les tests utilisés et leurs résultats.
Bien que spécifiques, les troubles du langage oral peuvent être associés à des comorbidités psychopathologiques et neuropsychologiques souvent intriquées (troubles du comportement et des émotions, de la mémoire, de l’attention, du graphisme…).
La prise en charge orthophonique :
Les objectifs de la prise en charge orthophonique chez l’enfant de 3 à 6 ans sont, en fonction de l’âge et des potentialités de l’enfant, de remédier aux différents aspects déficitaires du langage, d’améliorer la communication de l’enfant et aussi de faciliter l’acquisition des apprentissages scolaires en particulier du langage écrit, quand l’enfant entrera à l’école.
- avant 4 – 5 ans :
- Une prise en charge est nécessaire en cas d’inintelligibilité et/ou d’agrammatisme ou de trouble de la compréhension (grade C).
- La prise en charge comporte différents axes : guidance parentale et/ou rééducation orthophonique de l’enfant. D’autres méthodes d’intervention indirecte fondées sur un programme d’éducation et d’accompagnement parentale ont montré leur efficacité sur la pauvreté de vocabulaire (grade C). Il y a peu de données scientifiques établies mais il semble que les troubles expressifs phonologiques et syntaxiques bénéficieraient plus d’une rééducation orthophonique (grade C).
- après 5 ans : la prise en charge orthophonique est toujours nécessaire si le bilan confirme l’existence d’un trouble spécifique du langage oral (grade C).
Les objectifs et les techniques de rééducation sont précisés et communiqués à l’ensemble des acteurs.
Dans tous les cas les contacts et les interactions entre les parents, le médecin de l’enfant, l’orthophoniste et le système scolaire doivent toujours être développés.
Les enfants présentant des troubles du langage associés à d’autres troubles neuropsychologiques ou à des troubles des émotions et du comportement nécessitent des prises en charge multidisciplinaires coordonnées par un médecin au sein d’une équipe ou d’un réseau spécialisé.
La coordination de tous les acteurs de la prise en charge est particulièrement importante en cas de répercussions sur l’intégration scolaire et sociale.
Les méthodes faisant appel aux capacités et aux désirs éducatifs des parents seraient à développer en France, en particulier chez les enfants les plus jeunes présentant un langage oral limité. Il en est de même des interactions entre les orthophonistes, les médecins et le système scolaire.
L’évaluation de l’enfant après la rééducation orthophonique :
Elle est actuellement pratiquée presque exclusivement par l’orthophoniste impliqué dans la rééducation. Elle devrait être faite par le médecin prescripteur, complétée par l’avis d’autres personnes, parents, enseignants ou d’autres professionnels de santé.
Cette évaluation doit être basée sur la définition des objectifs de la rééducation et le suivi d’indicateurs consignés au mieux dans un dossier orthophonique accessible à l’ensemble des professionnels de santé impliqués dans la prise en charge de l’enfant. Cette évaluation doit permettre de décider d’arrêter, de poursuivre ou de modifier une rééducation. Il est nécessaire dans tous les cas de se préoccuper de l’évolution des éventuels troubles associés et de l’acquisition du langage écrit quelle que soit l’évolution du langage oral.
Perspectives
Il reste beaucoup de travail à faire pour :
- (I) compléter l’analyse statistique des données déjà recueillies ; (II) compléter le recueil de données afin d’établir des normes dans différentes populations d’enfants (e.g. selon le niveau socioculturel, la ville et la campagne, le bilinguisme) ; (III) compléter la validation et l’étude comparative des performances des différents instruments proposés pour le dépistage et l’évaluation ;
- réaliser des études longitudinales pour préciser combien d’enfants et lesquels, surtout parmi les plus jeunes, rattrapent leur retard et combien d’enfants et lesquels présentent des troubles persistants du langage oral ou d’acquisition du langage écrit.
Il est par ailleurs nécessaire de réaliser des études thérapeutiques prospectives comparatives afin de préciser quelles sont les méthodes les plus efficaces et quelles populations peuvent en bénéficier.
Il est nécessaire d’améliorer la formation des différents acteurs impliqués dans le dépistage et la prise en charge des troubles du développement du langage oral.