Évaluation a priori de l’extension du dépistage néonatal au déficit immunitaire combiné sévère par la technique de quantification des TRECs en population générale en France

Recommandation en santé publique - Mis en ligne le 07 févr. 2022

Le dépistage néonatal est une intervention de santé publique visant à détecter dès la naissance certaines maladies rares mais graves dont l’enjeu est de mettre en œuvre, avant l’apparition de symptômes, des mesures appropriées afin d’éviter ou de limiter les conséquences négatives de ces maladies sur la santé des enfants. En France, ce dépistage fait l’objet d’un programme national recherchant à ce jour six maladies par tests biologiques sanguins.

Suite à une saisine de la Direction Générale de la santé, ce travail avait comme objectif d’évaluer la pertinence l’extension du dépistage néonatal au Déficit immunitaire Combiné Sévère (DICS) par la technique de quantification des TRECs en population générale ; l’arrivée de cette technique rendant possible le dépistage à la naissance de plusieurs erreurs innées de l’immunité.

Le DICS, groupe de maladies rares mais extrêmement graves, recouvre un large spectre de maladies génétiques caractérisées par un déficit profond de l’immunité cellulaire et humorale entrainant une prédisposition élevée aux infections graves (lors d’une exposition à un agent infectieux notamment lors de l’allaitement ou d’une injection d’un vaccin vivant atténué). Son diagnostic repose sur une lymphopénie T profonde (<1500 lymphocytes T/µL voire < 300 si DICS typique).

Généralement asymptomatique à la naissance, sans traitement, la plupart des enfants décèdent d’infections dans la première année de vie. La greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH), traitement de référence, apparaît donc comme une urgence vitale. L’âge du nouveau-né (<3,5 mois) au moment de la greffe et l’absence d’infections sont des facteurs pronostiques de survie globale identifiés, le risque infectieux augmentant avec l’âge du nourrisson.

Ce déficit peut être détecté à la naissance par le test de quantification des TRECs.  Tout test de dépistage TREC positif (<21 copies TREC/µL) est suivi par un test de confirmation diagnostique par cytométrie de flux. Si le diagnostic de lymphopénie T est confirmé, une étude génétique, pour identifier le type d’anomalie moléculaire, est réalisée. Il faut noter que ce test détectera aussi d’autres lymphopénies profondes non DICS.

Le dépistage du DICS à la naissance permettra de poser un diagnostic rapidement et de mettre en place une prise en charge thérapeutique appropriée (prophylaxie des infections avec mise en œuvre de l’isolement, antibioprophylaxie, antiviraux, antifongiques et recherche du greffon puis greffe de CSH).

L’intérêt du dépistage à la naissance est conditionné par la rapidité de la prise charge de l’enfant avant la survenue d’infections.

En effet, les bilans des différents programmes étrangers ont montré que la mise en place de ce dépistage impose l’obtention rapide des résultats (dépistage et diagnostic) et une organisation optimale de la prise en charge pour que l’enfant puisse être greffé avant 3,5 mois de vie. De plus, des études récentes montrent qu’un parcours de prise en charge performant ne suffit pas toujours à éviter les infections en particulier à CMV qui peuvent survenir à tout moment (y compris parfois en attendant le diagnostic) ce qui plaide en faveur de la réalisation de la greffe le plus tôt possible avec un objectif à deux mois de vie de l’enfant.

Les conséquences de la détection de faux positifs et de lymphopénies T non DICS, plus nombreuses que les cas de DICS avérés sont difficiles à apprécier au vu des données disponibles.  Si, les enfants atteints de ces maladies bénéficieront du dépistage et donc du diagnostic précoce, avec une prise en charge thérapeutique précoce adaptée (prophylactique voire curative dans la mesure du possible), ces maladies ne bénéficient pas encore, toutes, d’une thérapeutique curatrice adaptée. Ainsi, il est difficile d’évaluer le bénéfice du dépistage pour ces pathologies.

De nouvelles pistes de traitements, comme la thérapie génique, adaptés à chaque génotype de DICS, sont en cours de développement.


Principales recommandations

Considérant :

  • les éléments qui plaident pour la mise en place du dépistage, notamment : la gravité démontrée du DICS, la disponibilité d’un test de dépistage à la naissance reconnu (quantification de TRECs), l’enjeu vital du diagnostic précoce et de la prise en charge rapide avant la survenue d’infections, l’existence d’un traitement de référence, à ce jour la greffe de CSH, et le bénéfice sur la survie d’une greffe précoce (avant la survenue d’une infection) ;
  • les incertitudes persistantes, notamment sur : le bénéfice de cette stratégie de dépistage en population générale (les preuves de l'efficacité du dépistage néonatal du DICS sont indirectes, et de faible qualité), les conséquences de la détection de faux positifs et de lymphopénies T non DICS, l’efficience du dépistage en l’absence de données françaises robustes ou la capacité de garantir une organisation optimale du dépistage permettant une greffe à deux mois de vie de l’enfant ; 
  • le fait qu’il s’agit d’une maladie très rare pour laquelle il serait très difficile d’objectiver un impact favorable du dépistage sur un échantillon même très important (seule une mise en place exhaustive sur tout le territoire le permettrait) ;


Messages principaux :

  • la HAS propose l’extension du dépistage néonatal au DICS par la technique de quantification des TRECs en population générale, en France, mais uniquement de façon conditionnelle.
  • la HAS propose que la mise place soit conditionnée à une évaluation obligatoire à cinq ans, et des évaluations intermédiaires régulières qui seront à prévoir en amont par les commissions épidémiologie et biologie du CNCDN.
  • La HAS considère que ce dépistage ne pourra être mis en place, même sous forme conditionnelle, que si toutes les étapes menant à la greffe de CSH visent sa réalisation deux mois après la naissance. Pour cela un respect strict des délais de chacune des étapes dans la séquence complète du dépistage à la greffe est indispensable.
  • Il conviendra de veiller à ce que ce programme national soit applicable, que les parcours soient harmonisés et fluidifiés, et ceci dans tout le territoire afin d’éviter des inégalités territoriales.


Modalités de mise en œuvre

Le contrôle qualité est prévu dans les standards du programme national du DNN. Cependant, la faisabilité dans un délai contraint de toute la séquence, entre le moment de la transmission du buvard et l’isolement prophylactique de l’enfant et la greffe, doit être strictement prévue et contrôlée dans son ensemble. L’organisation devra être adaptée pour respecter strictement l’ensemble des délais, condition indispensable au succès du dépistage.

Délais de rendu des résultats du dépistage et du diagnostic

La HAS recommande :

  • aux maternités de transmettre les cartons/buvards de prélèvement sanguin aux Centres Régionaux de dépistage néonatal (CRDN) quotidiennement ;
  • que le résultat du test TREC soit rendu dans un délai maximum de 9 j après la naissance de l’enfant. Ce délai pourra être ramené à 15 j si un second buvard est nécessaire ;
  • que le diagnostic soit rendu dans un délai maximum de 15 j de vie et de 30 j maximum en cas de nécessité d’un second buvard.


Algorithme de dépistage et de diagnostic

La HAS recommande que soient utilisés :

  • un algorithme validé pour le dépistage et le diagnostic par cytométrie de flux ;
  • le seuil initial du test par quantification des TRECs (< 21 copies/µL) retenus dans l’étude DEPISTREC.


Protocoles de prise en charge des enfants et délai de greffe

La HAS recommande que :

  • des protocoles standard de prise en charge (avant, pendant et après la greffe) y compris le traitement prophylactique soient  définis pour les enfants atteints de DICS et de lymphopénies T non DICS tout en précisant toutes les étapes.
  • la prise en charge médicale débute dans les 30 j maximum, avec un objectif de réaliser la greffe dans les 2 mois.


Formations et informations

La HAS recommande notamment que la proposition d’élargissement du DNN soit accompagnée d’une formation de l’ensemble des professionnels de santé impliqués dans le DNN. Cette formation devra porter tant sur les aspects techniques que sur les aspects relationnels, en particulier sur la délivrance de l’information aux familles.


Moyens techniques et ressources

La HAS recommande la mise à disposition de moyens humains, matériels et financiers suffisants dédiés à la mise en œuvre de ce dépistage, au suivi, à la remontée des données et à son évaluation (jalonnée et finale).


Suivi et évaluation

La HAS recommande :

  • que des audits qualité réguliers du processus de ce dépistage soient prévus dans tout le territoire en prévoyant un système d’amélioration continue dans les structures participantes visant à corriger très rapidement les écarts au protocole observés.
  • qu’une surveillance proactive sur les paramètres de réalisation de ce dépistage et de la prise en charge qui en découle, soit instaurée pour rectifier rapidement les différents circuits si des écarts sur les délais suivants étaient constatés :
    • Rendu du résultat, J 9 MAX,
    • Rappel de parents si 2nd buvard nécessaire, J 10 MAX,
    • Rendu du résultat du 2nd buvard, J 15 MAX,
    • Résultat du diagnostic, J 15 MAX sans 2nd buvard, J 30 MAX si 2nd buvard,
    • Prise en charge médicale (prophylaxie des infections dès le diagnostic.), J 30 MAX,
    • Délai pour trouver le greffon et préparation, 1 mois,
    • Greffe, J 60.
  • qu’une une évaluation du programme du dépistage néonatal « conditionnel » du DICS soit prévue avec comme but de pouvoir statuer sur la décision de poursuite ultérieure de ce dépistage. Elle sera multi-dimensionnelle (technique, organisationnelle, clinique et économique), prospective et longitudinale (jalonnée et finale à 5 ans).
  •  que soit constitué un groupe de pilotage, en lien avec le CNCDN, qui aura pour missions, notamment :
    • d’élaborer le protocole de l’étude qui définira les critères d’évaluation et décrira tout le processus de la mise en œuvre à l’analyse des résultats, y compris les modalités de recueil et de stockage des données et, un rapprochement entre le registre CEREDIH et la commission épidémiologie du CNCDN pour la réalisation de ce suivi.
    • de coordonner le programme en mettant en place un système d’information adapté qui permette de suivre l’ensemble du parcours de l’enfant dépisté, avec un chainage patient (à l’aide d’un identifiant patient).
    • de réaliser une évaluation entre trois à six mois du démarrage pour bien vérifier que tous les circuits et délais d’acheminements de buvards et rendus des résultats sont respectés dans tout le territoire.
    • de réaliser des évaluations jalonnées et finale avec idéalement un croisement avec les bases des données existantes (par exemple, registre CEREDIH, SNDS, hospitalières, etc…). Cette cohorte prospective devra être exhaustive sur tout le territoire.
    • d’être en capacité d’articuler l’ensemble des mesures signalées dans tout le territoire afin d’éviter des inégalités territoriales.
    • d’être réactif pour faire les ajustements nécessaires dans le processus à tout moment faute de quoi cette mise en place « conditionnelle » aura été inutile pour les enfants, la société et le système de santé.
    • de juger de l’opportunité de prolonger le suivi au-delà de 5 ans voire de remettre en cause le dépistage du DICS.

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