Chirurgie bariatrique : les suites d’un bypass gastrique par cœlioscopie

Article HAS - Mis en ligne le 19 sept. 2014 - Mis à jour le 12 juin 2019

bypass_gastriqueLe point de vue du chirurgien digestif de garde 

« Je me suis rendu le samedi auprès d’un patient opéré par un autre confrère la veille au matin d’un bypass gastrique par cœlioscopie (NDLR : court-circuit d’une partie de l’estomac et de l’intestin pour diminuer à la fois la quantité d’aliments ingérés et leur assimilation par l’organisme).

J’ai trouvé le patient un peu tachycarde. J’ai demandé une numération en urgence qui a montré une anémie modérée à 10.5 g d’hémoglobine. Je ne connaissais pas ce patient et je ne suis pas formé à la chirurgie bariatrique. J’ai donc appelé le chirurgien qui l’avait opéré pour l’informer de la situation et lui demander conseil. J’ai été rassuré. Je n’ai pas pris contact immédiatement avec l’anesthésiste de garde pour lui parler de ce patient. Je n’ai été prévenu d’une aggravation par l’établissement que le samedi soir.

Le dimanche matin, je suis allé voir le patient qui allait beaucoup moins bien que la veille. Comme l’établissement ne dispose pas d’un scanner, j’ai demandé que l’on prenne un rendez-vous pour en faire un, dès le lundi matin. Au cours de la journée, l’état du patient s’est dégradé et, après discussion avec l’anesthésiste, nous l’avons transféré en réanimation au CHU voisin ».

Le point de vue de l’anesthésiste

« Le soir de l’intervention, le patient s’est plaint de douleurs. Quand je l’ai examiné, j’ai trouvé qu’il était un peu tachycarde mais que dans l’ensemble il allait plutôt bien. Je n’ai pas discuté de ce cas avec le chirurgien de garde. Le samedi soir, je suis allé voir le patient dont l’état s’était aggravé. J’ai demandé à ce que le chirurgien de garde soit prévenu et j’ai prescrit un remplissage vasculaire. Dans la journée du dimanche, le patient était gris, hypotendu et tachycarde. Le chirurgien ne voulant pas réintervenir lui-même, un transfert au CHU a été décidé ».

Le point de vue de l’IDE

« J’ai prévenu l’anesthésiste le vendredi soir que le patient se plaignait de douleurs. Le samedi, à la demande du chirurgien, j’ai réalisé le prélèvement pour une numération en urgence. C’est une collègue qui a réalisé la perfusion pour procéder au remplissage vasculaire demandé par l’anesthésiste. Je lui ai transmis mes informations oralement mais je n’ai pas recontacté le chirurgien. Je n’ai pas pu jouer le rôle de courroie de transmission qui aurait été nécessaire ».

Cas clinique reconstitué à partir d’une agrégation de cas réels, proposé par le Dr Patrick Georges Yavordios – Collège français des anesthésistes réanimateurs (CFAR).

Commentaires des experts : les Pr B. Millat & D. Benhamou

Pr B. Millat – D’un strict point de vue chirurgical cette observation permet de rappeler une règle simple qui, si elle avait été appliquée ici, aurait évité une perte de chance de près de 48 heures. Les éléments cliniques et paracliniques de surveillance sont notoirement peu sensibles et trompeurs chez les patients ayant eu une chirurgie bariatrique. Scanners et numérations sont inutiles et faussement rassurants. Tout patient tachycarde (supérieur à 100/mn) le lendemain d’une opération de chirurgie bariatrique sous coelioscopie doit être réopéré pour, au minimum, une réexploration coelioscopique. Les complications postopératoires immédiates sont l’hémorragie et la péritonite (fistule anastomotique ou perforation digestive instrumentale).
En de telles circonstances, il ne saurait y avoir de discours téléphonique rassurant. Faut-il culpabiliser le chirurgien « de garde » qui avoue ici les limites de sa compétence ?

D’un point de vue plus systémique, il apparaît que le chirurgien de garde (« Je n’ai pas pris contact avec l’anesthésiste de garde pour lui parler de ce patient »), l’anesthésiste (« Je n’ai pas discuté de ce cas avec le chirurgien de garde ») et l’IDE (« Je n’ai pas recontacté le chirurgien ») ne travaillent pas en équipe.

Pr Bertrand Millat – Président de la commission risques de l’organisme agréé Fédération de chirurgie viscérale et digestive (FCVD)

Les propos tenus dans cet article sont sous la responsabilité de leur auteur.

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Pr D. Benhamou – Le cas décrit illustre bien une réalité de notre vie quotidienne. Bien que chaque acteur du système de soins agisse en ayant le sentiment de bien faire et d’apporter des soins de qualité, des lacunes importantes existent.

Voyons trois aspects successifs de la prise en charge que la littérature récente nous conduit à examiner de façon critique.

Escalade des soins1 
Tout d’abord, examinons si l’escalade des soins (escalation of care) a été bien menée. Bien que peu de signes physiologiques chiffrés nous soient fournis dans l’observation dont nous disposons, on peut assez facilement identifier que nombre de paramètres simples étaient anormaux assez tôt après l’acte et surtout se sont aggravés sans qu’une décision ne soit prise. En effet, même si l’on considère (et c’est assez logique) que les premiers signes notés le samedi matin étaient encore trop frustes pour déclencher un acte diagnostique (imagerie) ou thérapeutique immédiat (reprise), on voit que le chirurgien de garde était déjà inquiet, à tel point qu’il téléphonait au chirurgien référent.
Surtout, on apprend que le dimanche matin, « le patient… allait beaucoup moins bien que la veille ». Existaient alors probablement des signes physiologiques tangibles (tachycardie, douleur, fièvre et/ou baisse de pression artérielle par exemple).
C’est ici que des scores2, déjà proposés et utilisés outre-Manche notamment, peuvent aider à déclencher une escalade de soins. Ces scores, bien que discutés, peuvent avoir une utilité, en prodiguant une information complémentaire à celle du « feeling » du clinicien et faire basculer de l’incertitude d’agir vers une action immédiate. En effet, le dimanche matin, le chirurgien est alerté mais accepte le principe de la réalisation d’un scanner le lendemain, soit encore 24 heures plus tard. Cette décision va être bousculée par une nouvelle « poussée » d’aggravation dans la journée du dimanche. On constate donc qu’entre les premiers signes et la décision effective de transfert, plus de 48 heures se sont écoulées. On peut probablement imaginer qu’avec l’aide de scores objectifs, la décision aurait été plus rapide.

On ne connaît pas ici la fin de l’histoire et notamment si le patient avait réellement une complication. On ne sait pas non plus si le retard de la prise en charge a conduit à une morbidité accrue, voire au décès. Certes nous ne le savons pas mais il est logique de penser que le délai de 48 heures entre les premiers signes et le début d’une réelle prise en charge conduit avec haute probabilité à un état plus grave, voire au décès.
Ghaferi3,4 et ses collaborateurs ont bien montré que pour un taux similaire de complications postopératoires, le taux de décès peut varier de façon très importante, traduisant le fait que la prise en charge précoce et adéquate des complications est au moins aussi importante que la prévention de ces mêmes complications.

Communication5
La communication entre les deux chirurgiens a existé mais s’est révélée insuffisante. Entre les équipes médicales (chirurgien versus anesthésiste) et avec l’infirmière elle a été inadéquate.
On identifie une première fenêtre d’opportunité manquée le samedi soir lorsque l’anesthésiste demande à ce que l’on (pronom « neutre », traduisant l’absence de personnalisation de la relation) contacte le chirurgien alors qu’il est probable qu’une discussion directe aurait identifié des anomalies des signes physiologiques qui aurait alerté ce dernier (soit d’emblée soit plus nettement dès le lendemain matin).
De nombreux travaux récents6 ont bien identifié le rôle du manque de communication comme un facteur de risque de complication ou de mauvaise prise en charge. Le cas présent le confirme avec grande clarté.

La communication interprofessionnelle n’a pas non plus été adéquate. L’infirmière a certes exécuté les prescriptions (remplissage, prélèvements sanguins…), joué un rôle de lien entre les médecins, mais n’a pas insisté pour que les médecins se parlent directement. Il s’agit là d’une difficulté fréquente pour les infirmières qui se retrouvent au centre d’un jeu de relations complexes, qui peuvent être conflictuelles. On ne détecte cependant pas ici ce que l’on constate souvent par ailleurs : l’infirmière est reléguée au rôle d’exécutante par des médecins traditionalistes et détenteurs du pouvoir médical alors que sa participation et son intégration complète à l’équipe soignante a des effets bénéfiques marqués. Elles peuvent – elles doivent – jouer un rôle plus proactif. Cette participation peut être visible dans des documents formalisés tels que les chemins cliniques7 et se traduira de plus en plus par des parcours de formation incluant de nombreuses zones communes, afin de favoriser in fine le sentiment de travail en équipe. L’accréditation en équipe, incluant les personnels non médicaux, sera également un outil d’amélioration et de mise en œuvre.

Comme cette communication n’est pas toujours (loin de là) naturelle, elle doit être enseignée8. Outre le fait d’en parler régulièrement dans les réunions professionnelles, c’est le rôle de la simulation en équipe que de faire prendre conscience aux jeunes professionnels de santé les avantages de cette relation plus communicante.

Approche systémique
Enfin, une dernière remarque mérite probablement d’être faite. Un établissement réalisant de la chirurgie bariatrique9 et qui ne dispose pas de scanner me semble être une structure de soins qui mérite une analyse de ses performances en matière de sécurité…
Le cas qui nous est présenté est-il le seul ou est-il le nième d’une liste de complications insuffisamment gérées ? Bien sûr le problème n’est pas directement l’absence de scanner mais cette absence traduit le manque de moyens de prise en charge de pathologies lourdes. Même si la chirurgie bariatrique a considérablement progressé et si sa réalisation est parfois proposée en mode ambulatoire10, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une chirurgie qui s’adresse à des patients aux comorbidités souvent importantes et qui toléreront mal des complications, même mineures.

Pr Dan Benhamou – Service d'anesthésie-réanimation chirurgicale – Hôpitaux universitaires Paris-Sud (AP-HP)

Les propos tenus dans cet article sont sous la responsabilité de leur auteur.

1. Johnston M et al. Escalation of care and failure to rescue: A multicenter, multiprofessional qualitative study. Surgery 2014;155(6):989-94.
2. Royal College of Physicians. National Early Warning Score (NEWS): standardising the assessment of acute illness severity in the NHS. Report of a working party. London: RCP, 2012.
3. Ghaferi AA et al. Variation in hospital mortality associated with inpatient surgery. N Engl J Med 2009;361:1368-75.
4. Taenzer AH et al. A review of current and emerging approaches to address failure-to-rescue. Anesthesiology 2011; 115:421–31.
5. Davenport DL et al. Risk-adjusted morbidity in teaching hospitals correlates with reported levels of communication and collaboration on surgical teams but not with scale measures of teamwork climate, safety climate, or working Conditions. J Am Coll Surg 2007;205: 778–784.
6. Mackintosh N, Sandall J. Overcoming gendered and professional hierarchies in order to facilitate escalation of care in emergency situations : The role of standardised communication protocols. Social Science & Medicine 2010;71: 1683e1686
7. Kennedy EP et al. Initiation of a critical pathway for pancreaticoduodenectomy at an academic institution—the first step in multidisciplinary team building. J Am Coll Surg 2007;204:917–924.
8. Barnsteiner JH et al. Promoting interprofessional education. Nurs Outlook 2007;55:144-150.
9. Morton JM et al. Is ambulatory laparoscopic Roux-en-Y gastric bypass associated with higher adverse events? Ann Surg 2014;259:286-92.
10. Joshi GP et al. Selection of obese patients undergoing ambulatory surgery: a systematic review of the literature. Anesth Analg 2013;117:1082-91.

Un engagement de chacun – Pour une transparence consentie…

« Devenue un mot d’ordre… »1, la transparence constitue une invitation permanente adressée tant au professionnel qu’au patient, à tous les stades du soin.

Sollicité pour signaler, reconstituer qui a fait quoi, à quel moment, comment…, le professionnel est invité à un parcours de transparence pour y voir clair, tout en ayant le devoir de respecter le secret. La transparence est présentée comme une condition nécessaire à la coopération.

Informé, le patient est doté d’une créance de clarté, supposée lui permettre de participer à des choix, de s’impliquer dans son traitement. La visibilité sur sa situation apparaît comme un gage du plein exercice de son autonomie.       

Supposée « laisser passer la lumière »2, la transparence est cependant porteuse d’incertitudes, voire d’obscurité. Déclinée à outrance, elle peut être vécue comme une assignation à tout dire, comme une situation d’exposition et de dépendance au regard d’autrui. Il peut être tentant de se réfugier dans la déclaration de simples apparences…

Indispensable dans le cadre de la gestion des risques, la transparence n’est ni une finalité, ni une valeur, mais une voie à privilégier permettant de faciliter l’implication du patient, l’harmonisation des pratiques, le partage d’expériences. Reste à trouver le juste équilibre pour passer d’une transparence obligée à l’apprentissage d’une transparence consentie…

Frédérique Haniquaut – HAS

1. Alexandre Klein, « La transparence du corps en médecine, obscur modèle de notre modernité », revue Appareil [En ligne], revue Appareil - n° 7 - 2011, mis à jour le avril 2011.
2. étymologiquement, la transparence est un mot composé de deux racines latines, trans (à travers), parere (apparaître). 

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