La parole du patient : une barrière de sécurité

Web page - Posted on Mar 20 2014 - Updated on Jun 12 2019

C’est arrivé à Isabelle…

Isabelle, 50 ans, consulte son gynécologue parce qu’elle présente de gros fibromes utérins qui entraînent douleurs et inconfort digestif. Une hystérectomie est programmée. Isabelle indique qu’elle a reçu une information complète sur les modalités de réalisation de cette chirurgie (explications sur le risque, document, dessin). Elle consent à l’intervention par voie basse en toute confiance «J’étais partie prenante, j’étais absolument confiante, tout était clair dans ma tête ».

L’intervention se déroule sans complication. Pourtant, en salle de réveil, Isabelle ne se sent pas bien. Elle prévient l’anesthésiste. « J’avais très mal et je me suis sentie partir, je me suis remémorée ma vie… ».

La gynécologue est appelée. « Je l’ai entendue dire " elle fait une hémorragie interne ", mais, à partir de là, je ne me rappelle plus rien ». Isabelle retourne au bloc pour être réopérée en urgence.

« Au réveil, j’étais très bien, au chaud, en état de bien être, puis, lorsque j’ai vu l’inquiétude sur le visage de mon mari, j’ai pris conscience que cela aurait pu être grave. Il avait eu très peur pour moi et il n’avait pas été correctement informé de mon état ».
Isabelle poursuit : « À aucun moment je n’ai eu de doute sur la sécurité de la prise en charge mais je crois que je suis passée très près d’un accident grave. Je suis reconnaissante aux professionnels de m’avoir écoutée. S’ils n’avaient pas pris en compte ma plainte, je ne serais plus là… J’ai encore en tête les paroles de l’anesthésiste "Vous vous êtes sauvée toute seule !" ».

L’histoire d’Isabelle racontée par la gynécologue-obstétricienne qui l’a opérée

La prise en compte des « dires » des patients, dans notre équipe, est une composante essentielle. Et dans le cas de cette patiente, cette écoute de son ressenti a été primordiale.
Un entretien a eu lieu avec la patiente avant la chirurgie. Elle a été informée sur les différentes possibilités de cette intervention : chirurgie par voie haute ou par voie basse.
Je lui ai expliqué que la chirurgie par voie basse comportait un risque hémorragique plus important mais que les cicatrices étaient moins visibles. La patiente a opté pour une chirurgie par voie basse.
L’intervention s’est déroulée dans des conditions normales, elle a été un peu plus longue que prévu, mais sans difficulté opératoire particulière. La patiente a été conduite en salle de réveil.

Environ une heure après son arrivée, les infirmiers de la salle de réveil m’ont contactée pour me signaler que la patiente avait fait un malaise avec chute de tension et tachycardie. Je suis venue la voir. Le malaise semblait passé. Après discussion avec l’équipe médicale, on a procédé à plusieurs vérifications, nous avons aussi accéléré la perfusion car il pouvait s’agir d’un retard de « remplissage ».

La patiente aurait normalement dû remonter dans sa chambre mais nous l’avons gardée encore sous surveillance, en salle de réveil.

Environ une heure après cet incident, j’ai à nouveau été appelée par les infirmiers : la patiente se sentait vraiment mal alors que tous les examens, y compris l’échographie, étaient normaux. Et pourtant, la patiente se plaignait de douleurs au niveau du ventre. Nous nous sommes interrogés, avec l’anesthésiste sur la décision à prendre : fallait-il réopérer ou pas ?

Personne, dans l’équipe n’a minimisé les choses et finalement, malgré la normalité des examens, nous avons pris la décision d'opérer à nouveau. Devant des examens normaux, chacun aurait pu penser à un contrecoup postopératoire d’origine anxieuse, or, ce n’est pas la réaction qui a prédominé dans l’équipe. En effet, je crois profondément que les patients ont conscience de ce qui leur arrive et que les écouter est important pour ne pas passer à côté d’accidents graves.

La décision de réopérer était justifiée et prise à temps puisque la patiente a refait un malaise brutal, avec défaillance cardiaque, tachycardie et chute de tension au moment où elle était amenée au bloc opératoire.

L’attention prêtée au ressenti de cette patiente a été essentielle pour elle. Et cela a encore renforcé, pour l’équipe et pour moi, le sentiment qu’il faut vraiment être à l’écoute des patients. Il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui relève du normal ou de l’inquiétant, mais je suis convaincue qu’il faut inclure le patient dans la décision médicale.
Il faut qu’il soit mis au courant des risques encourus pour qu’il puisse mieux nous alerter. Et les professionnels, quant à eux, doivent vraiment être à leur écoute.
Pour cette patiente, les véritables acteurs qui m'ont permis de prendre la décision d’intervenir ont été les professionnels de l'équipe de la salle de réveil.
Ce sont eux qui m’ont avertie et qui, même devant l’absence de résultats d’examens inquiétants, ont maintenu une alerte forte. Ils ont choisi d’entendre la parole de la patiente et ils ont bien fait d’insister.

Cas clinique recueilli par le Dr Jean Brami, Arielle Fontaine & Frédérique Haniquaut – HAS

Avertissement : les témoignages des patients et des professionnels sont recueillis d’une manière anonyme, dans le cadre d’une charte qui peut être consultée sur demande. Ils sont utilisés dans un but pédagogique et les personnes interviewées s’engagent à ne pas utiliser la rubrique à des fins polémiques ou contentieuses.


Point de vue d’un représentant d’une association de patient

Une histoire qui finit bien et qui nous donne à réfléchir sur les circonstances qui ont permis ce dénouement.

Un événement indésirable associé aux soins (EIAS) fatal a été évité grâce à la conjoncture de plusieurs paramètres :

  • une patiente attentive à son ressenti et assez sûre d'elle pour exprimer ses doutes auprès de l'équipe soignante ;
  • des professionnels présents au bon moment au « lit du patient » sachant écouter ses propos et les prendre en considération et surtout sachant se fier à leur intuition sur l'urgence d'intervenir malgré des résultats d’examens biologiques rassurants.

Il s’agit d’un bel exemple d'écoute du patient combinée à une sensibilité inconsciente des professionnels grâce à laquelle ils ont su tirer les bonnes décisions rapidement.

Ce n'est pas toujours le cas, malheureusement, car les propos des patients sont souvent ignorés voire mis en doute sous prétexte de subjectivité face à des professionnels de santé qui, souvent, privilégient le raisonnement. Parfois, les patients n'osent pas s'adresser au médecin et restent comme des laissés pour compte lorsque leurs situations, bien que parfaitement évoquées, ne sont pas « entendues ».

Que serait-il advenu si l’équipe n’avait pas été là ou si la plainte de la patiente n’avait pas été « entendue » ? Et si elle n'avait pas osé décrire son malaise ?

En fait tout passe par la confiance en soi et en l'autre dans ce couple patient/soignant pour une expression efficace des ressentis. Ensuite vient le temps des décisions raisonnées en toute connaissance de cause. Ceci soulève, bien sûr, la nécessité de soignants disponibles pour le suivi du patient du début à la fin de l'intervention mais aussi du séjour dans l'établissement.

De toute évidence, il y a urgence à créer « des espaces temps » sur le parcours de soin, que ce soit en ville ou en établissement hospitalier, qui doivent permettre une ouverture au dialogue entre les professionnels de santé et les patients. Ce dialogue doit être attentif, respectueux, sans rapport de force et  soutenu jusqu'à la fin de la consultation ou de l'hospitalisation, car très souvent le patient n'ose pas s'exprimer au début et reste longtemps dans le non-dit, de peur de ne pas être « crédible » aux yeux des soignants.

Les professionnels doivent encourager les patients à parler d’eux et aussi faire confiance à leur propre ressenti, devant leurs témoignages sur leurs réactions aux traitements, sur leurs automédications, sur des effets observés, des circonstances de vie difficiles traversées (sociales professionnelles, familiales, environnementales) pour une approche de « santé globale » bien menée. Le patient devant être aussi là comme une sonnette d’alarme de sa propre sécurité.

La brochure « osez parler avec son médecin » nouvellement proposée par la HAS devrait être un premier pas dans cette voie. On pourra, seulement alors, parler de patient coacteur de sa santé. C'est un besoin commun pour un bénéfice partagé.

Madeleine Madoré
Ancienne présidente de l'association Le Lien
Représentante des usagers – Membre du bureau et du CA du Lien

Un engagement de chacun

La communication avec le patient et/ou son entourage constitue un élément majeur d’une prise en charge alliant qualité et sécurité.
Appréhender au mieux la situation du patient requiert une attitude empathique1. Capacité d’observation et écoute active du professionnel sont sollicitées, dans un paradigme de partenariat.
Décoder les éléments de communication verbale et non verbale, prendre en compte le savoir de la personne sur elle-même, sa capacité à détecter et signaler une séquence anormale dans le processus de soins relèvent du principe de bienfaisance2, traditionnellement défini comme « la capacité d’une intervention à améliorer le bien-être de la personne à laquelle elle s’adresse ».
Reconnaître au patient un statut de partie prenante, prendre en compte sa parole et l’expression de son ressenti, c’est lui donner la possibilité de devenir coacteur de sa sécurité en n’oubliant pas qu’il a aussi sa part de responsabilité en tant que sujet concerné.

Frédérique Haniquaut – HAS

 

 

[1] Rogers C. Le développement de la personne, Dunod, collection Grandes Références, Inter-Editions, 2005.
[2] Beauchamp et Childress. Les principes de l'éthique biomédicale. Paris: les Belles Lettres, 2008.

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