Situations vécues – Sortie d’un patient hospitalisé pour une chute au domicile
Le cas de René
Début mars, René 93 ans, soucieux de ne pas réveiller sa conjointe, se lève la nuit sans allumer la lumière. « J’ai loupé un point d’appui et me suis retrouvé par terre complètement perdu ». Allongé dans le couloir, assommé, désorienté, il peine à se relever et y parviendra seulement avec l’aide de son épouse. Le surlendemain, il reste bloqué sur les toilettes, « il faut dire que le siège est bas, heureusement un voisin m’a aidé ». Durant les jours qui suivent son état se dégrade. Il ne parvient plus à quitter son lit, perd du poids et s’affaiblit (tension artérielle < 100mmHg).
Au bout d’un mois, une hospitalisation s’impose. « Je ne sortais plus du tout, mon médecin traitant a obtenu une place pour moi ». Son séjour s’étendra sur 4 mois. Il séjourne d’abord en gériatrie puis en soins de suite et de réadaptation (SSR) où il subit une série d’examens. Un traitement anticoagulant lui est administré.
« Quand j’ai refait surface, on m’a fait descendre un étage pour commencer la rééducation musculaire »… En SSR, il débute une rééducation « avec toutes sortes d’engins des temps modernes » et récupère rapidement.
Un programme d’éducation thérapeutique destiné à prévenir les chutes est mis en place. Fort de son expérience d’ancien sportif, Il raconte comment « une chute de cheval à grande vitesse » s’est terminée, heureusement pour lui, sur un « roulé-boulé ».
René partage, en atelier, les expériences de patients qui, comme lui, cherchent à éviter les chutes : « Avec quatre ou cinq personnes, nous avons essayé d’analyser les raisons de nos chutes pour savoir comment d’une façon générale éviter de tomber ». Il trouve l’expérience intéressante et rassurante et cela lui sert lors de son retour à la maison où une série d’aides sont mises en place. Il bénéficie de l’accompagnement d’un ergothérapeute pour aménager son domicile, d’une aide sociale et d’un soutien pour prévenir la dénutrition. Un plan de soins personnalisé est mis en œuvre pour informer René sur son traitement médicamenteux. Une feuille A4 reprenant l’ensemble de ses traitements lui a été remise.
Si René a bien été informé sur les spécificités de son traitement, il reste un peu perdu face à la gestion de la prise des anticoagulants, d’autant que son épouse en prend également mais différents des siens. « Je sais qu’il faut que l’INR soit compris entre 2 et 3 mais je ne sais pas s’il faut augmenter la dose d’anticoagulant ou la baisser quand l’INR sort de ces limites ».
Ce qu’en dit le médecin du pôle SSR qui a pris en charge René
Le cas de René illustre bien la complexité de la prise en charge des patients en SSR gériatrique. René peut être considéré comme fragile, car très âgé, avec plusieurs pathologies susceptibles de décompenser en cascade (chute, alitement, dénutrition, embolie pulmonaire). Face à cet état de vulnérabilité présenté par de nombreux patients et afin d’éviter une perte d’autonomie définitive, notre service a organisé plusieurs types d’actions :
• prise en charge rééducative précoce, pluridisciplinaire afin d’éviter une perte d’autonomie définitive ;
• anticipation de la sortie à domicile ;
• courrier remis au patient le jour de sa sortie.
En fonction de ses besoins, plusieurs actions éducatives sont proposées au patient. L’objectif est de le rendre acteur dans la prise en charge de ses maladies en améliorant ses connaissances et compétences et ainsi éviter les complications telles que la chute, les accidents iatrogéniques, .... C’est ainsi que René a bénéficié d’un programme d’éducation centré sur la chute, en atelier collectif, et a pu partager ses expériences avec d’autres patients. Il a bénéficié également, grâce à la pharmacienne du service, d’une sensibilisation sur les médicaments qu’il prend.
Des visites à domicile sont proposées systématiquement aux patients pour aménager leur cadre de vie. Elles sont réalisées en présence du patient et de l’entourage par l’ergothérapeute du service et une infirmière libérale.
René a bénéficié d’une anticipation précoce de sa sortie en étroite collaboration avec l’ensemble des acteurs de la ville. Des aménagements de son lieu de vie ont été préconisés. L’assistante sociale a proposé un plan d’aide adapté aux besoins du couple (infirmières, auxiliaires de vie, portage des repas, téléalarme). Il a été mis en place dès la sortie.
Afin d’assurer une continuité des soins, un courrier médical et des ordonnances (prescriptions médicamenteuses, soins infirmiers et de kinésithérapie, diététique) sont remis au patient le jour de la sortie. Dans le cas de René, nous aurions dû insister sur la nécessité de solliciter son médecin généraliste pour la gestion de l'INR.
Cet exemple de sortie réussie mise en évidence par René nous conforte dans l’idée que l’éducation thérapeutique est possible, bénéfique chez les patients très âgés, fragiles, et que la pluridisciplinarité est primordiale dans cet accompagnement.
Cas clinique recueilli par le Dr Jean Brami, Arielle Fontaine & Frédérique Haniquaut – HAS
Commentaires
Pour une personne âgée, le retour à domicile après une hospitalisation est une étape majeure en termes de sécurité des soins car source d’événements indésirables associés aux soins – dont la réhospitalisation – et de perte de qualité de vie.
La personne quitte l’état de patient hospitalisé, pris en charge et entouré par une équipe médico-soignante, pour revenir à son domicile, seule face aux activités de la vie quotidienne.
Le retour à domicile nécessite une préparation bien en amont du jour de la sortie car elle fait intervenir de multiples acteurs et une participation optimale du patient et de son entourage.
La préparation de la sortie du patient s’articule autour de quatre phases pendant son hospitalisation :
1. l’accueil, durant lequel un recueil de données complet est réalisé auprès du patient et de son entourage (informations sur la pathologie, les antécédents, les traitements, la situation sociale, l’environnement de vie…) ;
2. l’élaboration du projet de soins personnalisé qui repose sur la communication entre tous les professionnels lors de rencontres périodiques durant le séjour ;
3. l’organisation du jour de la sortie dont la date doit être anticipée. Les informations sont alors délivrées au patient la plupart du temps sous la forme d’un dossier de sortie, accompagné d’explications orales ;
4. la formalisation de la continuité de soins avec les partenaires extérieurs (transmission des informations notamment au médecin traitant, organisation des aides à domicile).
De la qualité de la préparation de la sortie dépend une évolution rapide vers l’amélioration de l’état de santé du patient, de son autonomie ainsi que la prévention d’événements indésirables associés aux soins.
L’expérience de René témoigne de cela. Son séjour en service de soins de suite et de réadaptation a été l’occasion de mettre en place des systèmes d’alerte et de protection : il a bénéficié d’une préparation pluridisciplinaire adaptée à ses besoins (atelier éducatif de prévention des chutes, aménagement du domicile). Son vécu de sportif a très certainement été repéré comme une force pour sa rééducation. Il semble avoir reçu une information personnalisée sur son traitement en fonction de ses facultés cognitives.
Cependant, René, restant inquiet face à la gestion de son traitement, a été visiblement peu sensibilisé aux risques médicamenteux liés aux anticoagulants. L’histoire ne dit pas si son épouse a également été informée du traitement de son mari.
Cette situation n’est pas un cas isolé. Dans une enquête auprès de patients âgés, réalisée dans le cadre d’un projet aquitain sur la préparation de la sortie du patient hospitalisé, la moitié des patients ont déclaré ne pas avoir reçu d’explications sur les risques médicamenteux ainsi que 60 % des aidants. L’information seule ne suffit pas, les professionnels de santé doivent s’assurer de la compréhension de celle-ci par le patient et son entourage. De plus, René a-t-il compris qu’en cas de doute sur son traitement il devait s’orienter vers son médecin traitant ?
Clé de voute de l’articulation ville-hôpital, le médecin traitant accompagne le patient tout au long de son parcours de soins.
Sandrine Domecq, chargée de projet (DPI) et Sophie Vialle, chef de projet (DPI) – Comité de coordination de l'évaluation clinique et de la qualité (CCECQA)
- Circulaire 28 mars 2007 relative à la filière de soins gériatriques.
- S. Domecq, N. Seguin, M. Piscarel, J. Rongère, S. Vialle, P. Michel. La préparation de la sortie du patient âgé, un thème de travail qui a réuni 24 équipes pluridisciplinaires pour améliorer leurs pratiques (projet PACSA). Le bulletin d’information du CCECQA : dossier spécial. Bordeaux, n°31, juillet 2013 – www.ccecqa.asso.fr.
- L. Duco, S. Domecq, P. Michel. Questionnaires de mesure de la continuité des soins : une revue systématique de la littérature. Rapport. Bordeaux, CCECQA janvier 2012 – http://www.ccecqa.asso.fr/.
Illustration parue dans le focus de la lettre Actualités & Pratiques (n° 19 – Mai 2010)
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infographie : Fabrice Mathé
Avertissement : les témoignages des patients et des professionnels sont recueillis d’une manière anonyme, dans le cadre d’une charte qui peut être consultée sur demande. Ils sont utilisés dans un but pédagogique et les auteurs s’engagent à ne pas utiliser la rubrique à des fins polémiques ou contentieuses. |
Un engagement de chacun…
Changer ses habitudes n’est facile pour personne. Dans le même temps, obtenir l’adhésion de la personne au comportement souhaitable est essentiel et facilité par une explication du « pourquoi ? » dans un objectif de coconstruction de sens.
Un nouveau repère1 n’est valide que s’il est accepté sans contrainte par les individus concernés.
Réunir les conditions du changement suppose de prendre en compte les réalités sociales et subjectives, de prendre le temps de rechercher un socle commun reconnu par tous… dans la limite de l’objectif et des règles de prise en charge et de sécurité. Même si la marge est limitée face aux impératifs techniques et à la capacité personnelle de modifier ses habitudes, il est possible que chacun devienne acteur de sa prise en charge dans le cadre de solutions discutées et validées par le collectif, l’entourage et… soi-même.
Frédérique Haniquaut – HAS
1. Carbonel Anne, Contribution de l’agir communicationnel au développement des organisations, Centre européen de recherche en économie financière et gestion des entreprises (Cerefige), Metz, 2008.